jeudi 16 octobre 2008

Aumônerie de la Commune et du Bagne

Aumônerie de la Commune et du Bagne

(1872 – 1885)

Le court manuscrit présenté ci-dessous a été découvert lors des recherches

menées dans les années 80 au presbytère de l’Ile des Pins. Rédigé par les aumôniers de la déportation et du bagne, il relate chronologiquement – pour les prisonniers et le personnel de surveillance que les prêtres ont pu accompagner religieusement (et une partie des autres) – les morts survenues dans cette île entre 1872 et 1885. Y sont systématiquement mentionnées les prestations sacramentelles dispensées ou leur absence ; et, pour certains, d’autres circonstances ayant entouré le décès.

Après avoir procédé à une transcription rapide du manuscrit, nous l’avons déposé aux archives de l’archevêché de Nouméa où il a été microfilmé. Comme il ne présente pas beaucoup d’intérêt historique, il n’a – sauf erreur de notre part – jamais été exploité, ni publié. Trois raisons peuvent cependant justifier sa mise en ligne aujourd’hui. Celle-ci constitue un modeste hommage à ceux des communards et de leurs proches (femmes et enfants) qui, morts en déportation dans cette île lointaine, ont eu le courage ou la faiblesse de retourner vers la religion à la fin de leur vie, supportant que leur mémoire fût méprisée pour cela par leur entourage. En second lieu, le rappel des noms de ces exilés et des ultimes événements de la vie de plusieurs d’entre eux intéressera peut-être quelques-uns de leurs descendants. Enfin, cette lugubre énumération apporte, en dépit de son laconisme, un éclairage assez particulier sur une bien triste page d’histoire.

De fait, l’administration des derniers sacrements présentait des enjeux importants pour tous les protagonistes de cette affaire. Leur fierté commandait aux communards de demeurer solidaires et irréductibles face à ce qu’ils percevaient comme des tentatives de récupération religieuse, et ils essayaient de s’en prémunir en faisant signer ce que le clergé appelait «l’infâme billet ». Pour les prêtres, à l’opposé, il s’agissait d’arracher àune damnation quasi assurée, grâce aux sacrements, les mourants condamnés pour leur participation aux crimes de la Commune. L’opiniâtreté était égale de part et d’autre, et cela explique les luttes ouvertes ou sournoises qui se sont maintes fois déroulées autour des agonisants et des cadavres (intimidation, interventions secrètes, etc.). Situation paradoxale, à la croisée de convictions généreuses et de haines tenaces, où la détresse s’est muée en folie pour bien des malheureux (nombreux cas d’aliénation et de suicides).

Préoccupés de sauver de l’enfer les âmes des communards mourants, les prêtres ne cédaient rien aux adeptes du « hideux solidarisme » qui s’opposaient à leur zèle.

Non seulement il n’y avait, à leurs yeux, pas de salut possible hors de la religion, mais pas même la possibilité de vivre d’une façon vraiment humaine hors d’elle. L’union libre est désignée par le terme d’« accouplement », et la mort d’une femme tuée par son « soi-disant mari, ivre comme elle » est perçue comme l’issue quasi inéluctable (et sans doute méritée) de leur existence coupable. Le sentiment d’appartenance à l’Église et la piété traditionnelle l’emportaient sur la pitié. Au reste, terrible et dérisoire apparaît la palme décernée aux enfants baptisés qui sont morts avant l’âge de raison (ainsi qu’à un indigène baptisé la veille de son décès) : n’ayant pas été en mesure de pécher faute d’avoir assez vécu, ils sont comptés d’emblée parmi les bienheureux élus du paradis –le sort le plus enviable !

Réalisée en hâte et restée sans lendemain, la transcription de ce manuscrit n’est sans doute pas exempte de fautes ; on voudra bien nous en excuser et se reporter aux microfiches en cas de besoin. Étant donné la nature du document, nous avons opté pour une copie autant que possible littérale, avec seulement quelques modifications mineures comme l’emploi de majuscules pour les patronymes et le recours à une ponctuation un peu plus homogène. Pour transposer les icônes utilisées dans le manuscrit et non disponibles en informatique courante, nous avons procédé comme suit : + pour le sacrement de la pénitence, ++ si extrême-onction en plus, +++ si Eucharistie en plus des deux sacrements précédents, et _ pour le décès d’un jeune enfant baptisé (cf. ciaprès).

J.M.J.

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